En plein questionnement au sujet de mon avenir professionnel et m’étant toujours impliquée dans le secteur du social, j’ai eu la chance de suivre Yazid Kherfi dans le cadre de son dispositif : la Médiation Nomade. Cela fait plusieurs années que je le suis à distance entre lectures de ses ouvrages et veille par rapport à son actualité. En prise à mes rêves de vie nomade et en recherche de sens quant à l’exercice de mon métier d’éducatrice spécialisée, cette expérience est venue me conforter dans ma conviction qu’il est encore possible d’œuvrer pour un changement de paradigme. La répression et la surveillance ne font pas le poids face à la prévention et la non-violence.
Le concept de la Médiation Nomade
Souvent accompagné d’étudiant(e)s ou de bénévoles, Yazid Kherfi s’installe avec son camion ou son camping-car au cœur des quartiers dits « difficiles » pour créer des espaces de médiation. Avec pour volonté de susciter des rencontres, de faire émerger le dialogue, il parvient à instaurer voire à restaurer des rapports entre des entités qui ne se comprennent pas, qui s’opposent, qui parfois même se méprisent.
Transformer la violence en conflit constructif, voilà le leitmotiv de Yazid. Donner la parole aux jeunes, les prendre en considération, reconnaître leur réalité et raconter aux adultes, aux institutions les mécanismes de la violence et de la délinquance. Ayant lui-même vécu ce cheminement, fort de son histoire et de son parcours, Yazid s’est entre autres formé aux questions de politique de prévention et de sécurité ainsi qu’à la thérapie sociale. Il tient donc sa légitimité tant de son savoir expérientiel que théorique et partage avec passion ses connaissances et son vécu sur le terrain, à l’université, dans les médias.
Généralement sollicités par les services municipaux, Yazid et son frère Lakhdar Kherfi, chef de projet de la Médiation Nomade, vont à la rencontre des élu(e)s, des institutions et associations du territoire concerné afin de prendre connaissance des problématiques rencontrées. C’est à ce moment que sont évalués les besoins et que sont déterminées les conditions de l’intervention (fréquence, horaires, lieu d’implantation, implication des intervenant(e)s).
L’action de médiation est toujours ponctuelle. Elle n’a pas pour vocation de s’installer dans la ville. Elle se limite généralement à 3 ou 4 soirées, l’idée étant que les acteurs locaux se saisissent du dispositif pour laisser place à de nouvelles perspectives d’accompagnement en adéquation avec les besoins repérés. S’ensuivent parfois des journées de formation auprès des équipes afin de renforcer les compétences des professionnel(le)s travaillant auprès des habitant(e)s.
Aller vers ceux qui occupent le quartier, offrir une présence bienveillante tel est le principe de base de la démarche. Créer du mouvement, amener de la vie pour susciter les échanges. La prévention de la délinquance passe aussi par la création d’un lien social qui peut redonner confiance en soi et aux autres. Il s’agit pour les jeunes de pouvoir exister autrement que par l’image renvoyée par les médias ou à travers les représentations et de se sentir reconnu et valorisé.
« Ce qui leur manquait aussi [aux professionnels rencontrés sur le terrain], c’était de ne pas être militants. Je ne vois pas comment tu peux faire ce boulot sans croire à certaines choses et sans vouloir te battre pour elles. Ce qui leur manquait finalement, c’était l’amour, c’est-à-dire un certain comportement et une certaine façon de parler. Tu ne peux pas bosser avec les jeunes si tu ne les aimes pas »
Repris de justesse, Yazid Kherfi
La convivialité au service lien social
Organisation d’un débat
entre les habitants et quelques agents de police
C’est en soirée que l’on peut retrouver la Médiation Nomade, au moment où les institutions sont généralement closes et où la vie prend une autre tournure. Une fois les commerces fermés, les familles occupées dans leurs foyers, les travailleur(se)s sociaux(les) et animateur(rice)s rentrés chez eux, l’espace est généralement investi d’une autre manière. C’est souvent dans ces circonstances où le rythme ralentit, où le vide s’installe que certains jeunes se montrent plus présents dans l’espace public.
Ce contexte est propice à proposer un temps d’accueil et d’animation au cœur des quartiers. L’accent est alors essentiellement porté sur la convivialité. En installant chaises et tables, en proposant du thé à la menthe préparé par Yazid lui-même, en mettant à disposition jeux de cartes et « Puissance 4 » grands formats, en créant une ambiance détendue et musicale, la Médiation Nomade invite les habitant(e)s à prendre le temps de s’installer.
Tantôt interpellés par la démarche voire dubitatifs, tantôt enthousiastes et intéressés, les gens de passage ont tendance à observer et souvent à s’arrêter. Peu à peu, l’espace se remplit, les générations se côtoient. Sociologue et éducateurs, mamans et policiers, enfants et commerçant(e)s, jeunes et responsables des politiques de la ville se croisent, se rencontrent, laissent place à la parole. Certains font la démarche d’apprendre à se connaître, de s’écouter, de se dévoiler. De manière non-violente, les représentations se confrontent et glissent parfois sur le chemin des déconstructions.
Chaque médiation peut laisser place à une dynamique différente en fonction des personnes en présence et des initiatives prises par les habitant(e)s et acteur(rice)s locaux. J’ai ainsi vu des liens se créer à travers le jeu, des débats émerger au détour de discussions, des repas se partager de manière spontanée. Peu importe la forme des interactions, j’y ai chaque fois perçu beaucoup de respect.
Je suis toujours repartie des étoiles plein les yeux après avoir pris part à ces condensés de Vivre-ensemble. Des hommes, des femmes, des enfants m’ont ouvert une part de leur réalité. Quelques-un(e)s m’ont raconté leur histoire, leur vision de la vie, leur investissement dans le quartier. D’autres m’ont laissé entrevoir leurs peurs, leurs luttes, leur désespoir. Chaque fois, j’ai eu la sensation que cet espace-temps proposé par le dispositif avait l’effet d’un bol d’air, permettant aux un(e)s aux autres de se laisser aller à une parenthèse dans leur quotidien.
L’une des clés de la médiation : l’implication des acteur(rice)s locaux
Lors des trois médiations auxquelles j’ai participé, de nombreuses personnes ont pu faire part de leur engouement quant à cette initiative. La création d’opportunités de rencontres et d’échanges leur a semblé tout à fait opportune. Beaucoup ont pu partager leurs constats sur la vie de quartier. Par le passé, quelques-un(e)s se sont déjà montrés très impliqués au niveau local, œuvrant pour le développement d’actions à destination des habitant(e)s et notamment des jeunes. Seulement, une partie d’entre eux(elles) se sent comme épuisée, désabusée. Certain(e)s se montrent encore très actifs, pleins de projets et d’espoir.
Le dispositif de la Médiation Nomade peut venir remobiliser les différents acteurs et revaloriser les richesses de la population. Il peut aussi permettre aux jeunes de prendre conscience de leur pouvoir d’agir et leur donner l’occasion d’entrevoir les possibles. Ce projet peut enclencher des dynamiques fortes et redonner du sens à la prévention.
Toutefois, celui-ci étant nomade et donc éphémère à l’échelle d’un lieu donné, force est de constater qu’il ne se suffit pas à lui seul. La présence et l’engagement des dispositifs existant sur la ville est l’un des point clés dans la réussite des médiations. Telle une passerelle, il est surtout à percevoir comme un outil pouvant se révéler vecteur de changement.
Son objectif est aussi d’impulser voire parfois de remobiliser les professionnel(le)s. Il est alors question repenser les pratiques et de recréer du lien entre les habitant(e)s et les institutions afin de pérenniser les effets perçus.
Intervenant essentiellement en région parisienne où est implantée l’association, la Médiation Nomade se déplace également au niveau national. Forte de son succès, le nombre de sollicitations ne désemplit pas. La demande et les besoins sont présents. C’est la raison pour laquelle certain(e)s professionnel(e)s ont choisi de dupliquer le projet avec le soutien de Yazid Kherfi. Si la démarche reste chaque fois sensiblement la même, chacun se saisit du dispositif et peut s’en approprier les modalités.
C’est ainsi qu’a vu le jour l’association Passer’elles à l’initiative d’une collaboration 100% féminine. Ayant pour le moment délimité ses actions au département du 92 (Hauts de Seine), cette équipe a choisi de s’implanter plus durablement dans les villes afin de favoriser la création d’un lien plus ancré tant avec les institutions qu’avec les habitants des quartiers. La Rochelle et Lyon ont également leur espace mobile et leurs professionnels attitrés.

A l’instar de ces médiations qui ont vu le jour, si quelques lecteur(rice)s de passages se sentent inspirés et voient naître le désir de partager cette aventure, sachez que Yazid et Lakhdar ont à cœur que le modèle soit dupliqué. Depuis quelques années, ils organisent le forum « La nuit nous appartient » où sont conviés les différentes entités pouvant se sentir concernées par la médiation (habitant(e)s des « Quartiers Prioritaires de la ville », acteur(rice)s politiques, professionnel(e)s issus des milieux institutionnels et associatifs…). Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les ressources ci-dessous.
Encore une fois, N’hésitez pas à me faire part de vos ressentis quant à cet article. Je serais également heureuse de lire vos remarques et questionnements!
Comme je débute sur WordPress, je ne suis pas parvenue à insérer une icône de partage mais n’hésitez pas à relayer l’article sur vos réseaux si le contenu vous a plu.
Quelques ressources pour aller plus loin:
– le site de la Médiation Nomade
– Une super Vidéo de « Partager c’est sympa » qui vous propose un « docu-portrait », comme une immersion dans la Médiation Nomade
– Repris de justesse, Yazid Kherfi, Véronique Le Goaziou
Un livre dans lequel Yazid relate son parcours à travers différents thèmes. Cet histoire de vie est complétée par le regard de Véronique Le Goaziou, sociologue, sur la délinquance et ce qui peut y amener.
– Guerrier non violent, Yazid Kherfi
Un ouvrage dans lequel on perçoit davantage la pratique de Yazid dans le cadre de la prévention de la délinquance. Il y partage son expérience en lien avec la Médiation Nomade.
– « La nuit nous appartient » : médiation nomade dans les quartiers populaires
Un article dans lequel sont recueillis les propos de Lakhdar Kherfi au sujet de la démarche propre à la Médiation Nomade
Super article bien écrit et bien argumenté. Bravo Jessica. Merci de ta présence lors des médiations nomades et de cet article.
J'aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup 🙏 et encore merci à toi de m’avoir donné la chance de te suivre sur ces quelques soirées
J'aimeJ'aime
Bravo à toi article bien écris je suis fiers de toi
J'aimeAimé par 1 personne
Merci 😊 heureuse de voir que l’article plaît
J'aimeJ'aime